
« Je suis une prostituée qui arpente les rues, la nuit, à l’heure où les femmes de mon âge dorment dans leur lit. Je marche dans la rue, je prends part aux projets de violence mais aussi aux projets de désir. Je participe à tout ça en réitérant la violence qui m’a vue naître, le rituel bien connu de retourner aux parents, d’être soi-même ses propres parents, de ressusciter chaque nuit ce couple disparu ».
Tante Encarna a toute sa vie été entourée de trans, leur apprenant à ne pas croire aux contes de fées, les défendant face à la police leur insufflant une soif de liberté. Un soir, elles découvrent un bébé abandonné dans les buissons, elles décident de le garder et de prendre soin de ce nourrisson qu’elles baptiseront Éclat des Yeux. Nous voilà partis pour une immersion dans le milieu de la prostitution trans dans le parc de Sarmiento à Cordoba. Camilà la narratrice nous confie son histoire, sa colère, ses peines, le danger auquel elle est confrontée. Elle revient régulièrement sur son enfance nous raconter les violences de son père et l’inertie de sa mère. « Ma mère avec un gosse sur le dos qui commençait déjà à la décevoir, pauvre maman : l’enfant efféminé qui n’a pas cédé aux coups de ceinturon, aux châtiments, aux cris et aux gifles qui tentaient de remédier à une horreur pareille. L’horreur d’avoir un enfant pédé. Et pire que ça : un pédé devenu trans. Cette horreur, la pire qui soit. »
S’inspirant de son vécu, l’autrice nous livre la noirceur du quotidien de ses femmes. Comment vivre avec le désir de mourir? Comment vivre avec le mépris, le dégoût, la haine, les préjugés que l’on inspire ? Comment vivre avec ce corps d’homme qu’on essaie tant bien que mal d’oublier? Comment vivre dans un monde qui nous rejette ?
Un roman poignant qui ne peut pas laisser indifférent. C’est cruel, injuste, triste et beau à la fois. Face à la maladie, aux menaces, aux suicides, se dégage avant tout une immense solidarité entre ces femmes que la vie n’épargne pas. Une lecture qui m’aura marquée et à laquelle je vais longtemps repenser.
Les vilaines
Camila Sosa Villada – Metaillé